En fouillant dans les cartons d’archives du Fort de Tourneville, nous sommes tombés sur une pochette concernant une bien drôle d'affaire : c’est l’affaire Cocu. De quoi parle-t-elle ? Qui est Cocu ? Voilà deux questions auxquelles nous allons répondre ici.
"Les
représentant des mouvements de Résistance soussignés élèvent la prestation la
plus énergique contre la remise de la Croix de Guerre le 12 septembre 1945, au
policier COCU Albert, coupable d’avoir arrêté et livré et livré des patriotes
français aux Allemands. Ils réclament l’arrestation
immédiate de COCU, ainsi que la révision du dossier de son coéquipier Martin et
s’en remettent à vous en citoyens respectueux des lois, pour faire promptement
justice[1]".
Lettre
signée notamment par le fameux Duroméa, résistant et futur
maire du Havre de 1971 à 1994. Cocu qui a été invité à s’expliquer n’est pas
venu. Finalement, ce dernier est, d’après cette réunion, coupable d’avoir joué un
double jeu : résistant dans un groupe nommé Patrouille Ille de France et collaborateur ayant livré à la Gestapo pas moins de 315 patriotes dont 64
furent fusillés. Pourtant lors de la cérémonie, en lui donnant la Croix de
guerre, le général Legentilhomme, commandant de la 3e
région militaire, fait de lui un véritable héros :
"Entré dans un groupe franc en 1942 n’a cessé de se charger comme volontaire des missions les plus périlleuses, principalement contre les agents de la Gestapo qu’il réussit à capturer. A participer activement aux coups de main qui ont précédé les combats de la libération du Havre. Gravement blessé à son poste de combat, le 5 septembre 1944 pendant un bombardement aérien[2]".
Les rapports de l’ennemi font l’éloge de son travail, il fait preuve d’un grand zèle dans la traque des opposants à Vichy. Qui a raison ? Qui a tort ? Difficile de le savoir. Mais une question nous taraude, quelles sont les preuves amenées par les anciens résistants ? La première est un rapport de Marie Toulouzain. Le 31 décembre 1943, à 9h45, un inspecteur vêtu d’un long manteau noir et d’un chapeau de la même couleur vient à sa porte. Cinq minutes plus tard, cinq inspecteurs armés chacun d’un pistolet défoncent la porte, et emmènent son mari Marcel Toulouzan. Madame Toulouzain reconnait le premier homme, c’est l’inspecteur Cocu. Deuxième preuve, le 2 janvier 1944, c’est sensiblement la même histoire qui se passe, mais cette fois c’est Robert Certain qui est emmené, c’est un déserteur du STO, il a fui l’usine Helten/Mark près de Berlin en avril 1943. La femme de Robert Certain reconnaît l’inspecteur, encore une fois c’est Cocu. Marcel Toulouzain et Robert Certain sont fusillés le 4 février 1944 à 10 heures sur le terrain du Madrillet à Rouen. Enfin dernière preuve, après l’enterrement de Robert Certain, Pierre son père, a eu une discussion avec Cocu disant regretter son geste[3]. Le jour de la cérémonie, Madame Toulouzain se jette sur les officiels présents pour faire éclater la vérité mais est rapidement écartée par la cérémonie. Malgré cela, et les déclarations des résistants, l’inspecteur Cocu est récompensé et est de facto un héros de guerre.
Cet
épisode bien que très anecdotique, nous permet de bien comprendre deux choses : la première, les réseaux de résistance ne meurent pas avec la Libération
comme nous pourrions le penser, certains ont encore un poids politique et
social. Ensuite par cet évènement nous comprenons bien que la France souhaite
oublier cette sombre période, en faisant de tout le pays, un pays résistant
face à l’envahisseur allemand, idée qui sera développée quelques années après
par de nombreux théoriciens et historiens comme Robert Aron. L’histoire de la
collaboration est pendant longtemps restée taboue après la guerre. Cette idée
d’une France résistante reste dans les mœurs jusqu’à la fin des années 60, avec
notamment les travaux de l’historien Henri Rousso et le procès de Paul Touvier.
C’est un ancien membre du régime de
Vichy gracié en 1971 par Pompidou mais des voix s’élèvent sur son passé, il est
arrêté et condamné pour crimes contre l’humanité. C’est le premier Français à
l’être en 1994, presque un demi-siècle après les évènements. De plus à cette
période un débat des plus importants a eu lieu, de nombreuses voix s’élèvent
pour dénoncer le fait que les gaullistes et les communistes n’ont pas le
monopole de la Résistance, comme le montre les mémoires de Freney[4]
et de Bourdet[5], tous
deux chefs de mouvement de Résistance qui ne se sont affiliés ni à Londres ni à
Moscou. Débats[6] très
intéressants car ils nous permettent de comprendre que l’armée de la France
libre n’était pas aussi unifiée que prétendait de Gaulle. Pour finir, les
travaux sur la collaboration sont de plus en plus nombreux même si cela reste encore
un champ historiographique à conquérir, notamment dans les
petites villes et les villages.
[1] H4 15Bis 2
AMLH, extrait du Havre éclair, du 22
septembre 1945.
[2] H4 15Bis 2
AMLH, extrait de l’Avenir du Havre, le
14 septembre 1945.
[3] H4 15Bis 2 AMLH, extrait de l’Avenir du Havre, le 14 septembre 1945.
[4] Freney Henri,
La nuit finira, Robert Laffont, 1973.
[5] Bourdet
Claude, L'AVENTURE INCERTAINE. De la Résistance à la Restauration,
Editions du Felin, 1998, 478 pages.
[6] Pour le détail
de ces débats voir : François Bédarida, « L'histoire de la Résistance :
lectures d'hier, chantiers de demain », Vingtième Siècle. Revue d'histoire,
11, juillet-septembre 1986, page 75-89 ; Olivier Wieviorka, « A la recherche
de l'engagement », Vingtième siècle. Revue d'histoire, 60, octobre-décembre
1998, page 58-70 ; Jacques Sémelin, « Qu'est-ce résister ? », Esprit,
janvier 1994, page 50-63 ; Pierre Laborie, « L'idée de Résistance : entre
définition et sens. Retour sur un questionnement », in Les Français des années troubles, Paris, Éd. du Seuil, 2003.
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