Les Seigneurs de Saint-Martin-du-Manoir


On ne sait que peu de chose sur les premiers seigneurs de Saint-Martin du Manoir. Il n'existe pas encore à ce jour de synthèse historique sur ce village. Avant 1034, l’église du village dépend de l’abbaye fécampoise puis de celle de Montivilliers. C’est d’ailleurs autour de cette date que le nom de Saint-Martin-du-Manoir apparait pour la première fois suite à une affaire de détournement de bien foncier au détriment de l’église Notre-Dame de Montivilliers dont on ne connait malheureusement que très peu de détail[1]. C’est dans un (?) décret du duc Robert le Magnifique rendu à l’abbaye de Fécamp, que l’on retrouve l’église de Saint-Martin mentionnée. Dans cet acte Robert restitue des terres dont celle du village à qui ? Telle est la question. Malheureusement, comme dit précédemment on ne connait que trop peu de détail et le bénéficiaire nous est inconnu, il faut attendre un texte de 1067, pour avoir un nom : Raoul Giffard[2]. Nous allons le voir, la famille Giffard est assez puissante dans la région. On peut donc estimer que Raoul est le premier seigneur de Saint-Martin. Mais qui est ce Raoul ? Pour le savoir, il faut remonter à son père : Gautier Ier Giffard (mort autour de 1070). Les Giffard sont une grande maison de Normandie jusqu’en 1164 (la dynastie s’éteint faute d’héritier), et sont originaires de Lillebonne. Deux points attestent de la puissance de Gautier : ses terres sont vastes de Fécamp à la vallée de la Seine en passant par le littoral et Gonneville[3]. Une partie des terres notamment celle de Longueville sur Scie lui fut donnée suite à ces services rendus lors du siège d’Arques en 1053. Ensuite d’après l’historien François Neveux, Gautier offre 30 navires et 100 chevaliers[4] à Guillaume le Bâtard lors de la conquête de l’Angleterre. À cette époque Saint-Martin du Manoir n’est qu’une église et probablement quelques habitations. Il va falloir attendre plusieurs siècles pour y voir la construction d’un village.

Peu de texte d’époque nous renseigne sur ces derniers a-t-elle point que la période Giffard à saint Martin est très peu connu. Dans les nombreuses sources que nous avons consultées, on a constaté un grand vide entre la fin du XIe siècle et le milieu du XIVe. Cependant nous avons tout de même quelques informations. Saint Martin fait, aux XIe et XIIe siècles, parti du domaine comtal au même titre que Montivilliers, Fontaine la Mallet, Harfleur, Leurre et Saint Lorent de Brèvedent[5].

Nous retrouvons une trace des seigneurs à partir de 1358 et, à partir de cette date, nous avons réussi à les retracer tous jusqu’à la Révolution française.

Guillaume de Lettre né en 1358 fut seigneur du village jusqu’en 1409. Il est également seigneur d’en Caux et du Vicomté de Montivilliers. Malheureusement pour lui, il a des dettes, beaucoup de dettes ce qui entraine en 1409, la donation du domaine de Saint-Martin à une autre famille qui pendant plusieurs générations dominera le village[6]. C’est au prêtre et curé de Tostes Henri Segouin que le village revient. Puis en 1432, le village revient à sa nièce Jeanne (ou Anne) Segouin mariée à Laurent Guedon. Ce dernier est seigneur de Franqueville, Lieutenant général des Baillis de Caux et de Rouen en 1442. Les deux moururent le 17 juillet 1464, laissant leurs terres à leur premier fils Jean Guedon comme le veut la coutume[7]. Le couple a tout de même eu trois enfants :

-          Jean Guedon

Mort le 23 décembre 1492, sans enfants, sa vie fut bien remplie. Il exerça de nombreux postes, seigneur de Saint-Martin et de Franqueville. Vicomte d’Évreux en 1453 et 1465, Clerc extraordinaire en la Chambre des Comptes et confirmé par Ordonnance du 24 octobre 1483. Enfin il a également été Avocat général en la Cour de l’Échiquier de Normandie[8].

-          Marguerite Guedon

-          Guillemette Guedon

Son frère Jean n’eut pas d’enfant, c’est à elle que revient la seigneurie de Saint-Martin du Manoir lors de son mariage avec Thomas de la Reue. Homme important par ses fonctions : Seigneur de Lizors et de Nerolles, conseiller en Cour-Laye, lieutenant général du Bailli d’Évreux en 1442[9].

La Seigneurie de Saint Martin du Manoir à la fin du XVe passe de la famille Guedon à la famille Reue, originaire de Lisieux. Le couple Guillemette Guedon et Thomas de la Reue ont cinq enfants :


-          Robert

-          Christophe

-          Laurent

-          Vincent

-          Marguerite


Thomas de la Reue est connu pour avoir ordonné la construction du manoir des Pavenants à Lisieux[10]. À la mort de ce dernier en 1513, c’est Vincent qui prend la suite de la seigneurie jusqu’en 1551, marié à Marie de Vattemare en 1518 à Fécamp. Ils eurent également cinq enfants :


-          Louis

-          Jean

-          Jacques

-          Robert

-          Charles


Nous n’avons que peu de détail sur les trois derniers, cependant Louis reprit la suite de son père, Seigneur de Saint Martin du Manoir, des monts, de Barneville et de Val Coquin. Il est également conseiller au Parlement de Rouen en 1571 et épouse Anne Piedeleu, cinq enfants sont nés de cette union :


-          Pierre

-          Louis

-          Louise

-          Jeanne

-          Anne


Le premier fils Pierre épouse Louise Labbé, fille de Marie Toustain et Urfin Labbé. Le nom de la mère est important, car les Toustain vont bientôt dominer le village comme nous le verrons très bientôt. Mais avant nous avons, par le mariage de la fille de Pierre et Louise, l’apparition d’une nouvelle famille à la tête du village : les Bertout. En 1640, Françoise fille du couple de la Reue, épouse Jacques Bertout, seigneur des Roques et de Maribadon, et neveu de Guillaume Bertout époux de Anne de la Reue. Le couple a eu trois enfants :

-          Charlotte

-          Madeleine

-          Marthe

Comme nous allons le voir les Bertout ne vont rester que très peu de temps en tant que seigneur de Saint-Martin du Manoir, le 17 aout 1660 Charlotte se marie avec Charles Toustain et ajoute à sa longue liste de domaine la seigneurie de Saint-Martin du Manoir[11].

De 1358 à 1660, plusieurs familles se sont succédé à la tête de la seigneurie de Saint-Martin du Manoir : la famille Guedon, de la Reue, Bertout et enfin, mais nous le verrons avec bien plus de détails la famille Toustain.

Avant toute chose il convient de comprendre qui est la famille Toustain, car comme nous allons le voir, celle-ci marque la fin de la domination d’un seigneur sur le village, la Révolution mettant fin aux privilèges.  Le 17 aout 1660, grâce au mariage de Charlotte de la Reue et Charles Toustain, la seigneurie de Saint Martin du Manoir entre dans le patrimoine familial de la famille Toustain, Charles est seigneur de Richebourg, Guenouville, Malmain, le Pavillon. Selon la légende cette famille descend des Sarmates qui ravagèrent la France en compagnie des Normands sous le règne de Charles Le Simple, le chef de famille eut été un proche de Rollon futur duc de Normandie[12]. En réalité selon le généalogiste des ordres du roi : Chérin, cette famille remonte au XVe siècle.  

Pour en revenir à Charles Toustain c’est un militaire : capitaine au régiment de Longueville[13]. Ce sont surtout ces descendants qui vont nous intéresser ici notamment deux hommes Gaspard-François et Charles-Gaspard Toustain, ce sont les deux derniers seigneurs du village. Le premier, né le 22 février 1716 et mort le 3 avril 1799, est un militaire de carrière, il enchaine plusieurs fonctions importantes, d’abord Garde du corps, il devient rapidement mousquetaire et fini lieutenant des maréchaux au département du Havre. Soldat avant tout il participe à plusieurs guerres importantes en 1733 (Guerre de succession d’Espagne), en 1741 (Guerre de succession d’Autriche) et 1756 (Guerre de 7 ans). Nos sources nous indiquent qu’il a participé et a reçu deux blessures lors de la bataille de Dettingen en 1743[14] en servant en tant que mousquetaire[15]. Pendant la Révolution française, et plus précisément pendant la Terreur il est emprisonné étant donné ses affinités avec la royauté comme l’attestent ces récompenses, il est fait chevalier de l’ordre de Saint-Michel en 1758[16]. Il faut attendre la chute de Robespierre le 9 thermidor pour qu’il soit libéré. Malheureusement pour lui il perd ses titres lors de la Révolution, brûlés par lui-même sous la menace des villageois[17]. Cependant il va finir sa vie à Saint-Martin du Manoir - village qu’il apprécie et où il vit depuis 1747, l’année de naissance de sa fille Charlotte-Françoise[18] – et va écrire, en 1766 il remporte un prix à l’académie de Rouen pour son Dissertation sur l’origine de la Normandie. Il écrit de nombreux ouvrages sur la Normandie : Estampe allégorique de l’échiquier de Normandie devenu sédentaire, Dissertation sur les grands sénéchaux de Normandie, Recherches généalogiques et historiques sur la noblesse de Normandie[19]. En 1744, il fonde l’Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen[20]. Notre homme eut deux femmes et trois enfants naissent de ces deux unions, la première femme Louise Émile Toustain d’Ecresne de Frontebosc, mais c’est avec la deuxième femme qu’il a eu un fils : Charles Gaspard. Si Gaspard-François est le dernier seigneur de Saint Martin du Manoir, c’est véritablement son fils qui met fin à sa dynastie. Son fils né en 1746 et mort en 1836 eu une vie plus que mouvementée. Interne au Collège Beauvais de Paris en 1759, puis militaire au Havre dès 13 ans, il gravit très vite les échelons, en 1759, il est nommé par le compte de Rivrai colonel à une lieutenance en second au Régiment Royal-Lorraine Infanterie à Fécamp[21]. Enfin, deviens à 18 ans sous-lieutenant dans le régiment de cavalerie de Royal Lorraine sous le commandement de son cousin, le Colonel Marquis de Toustain[22]. En passant tout de même en tant que page du roi Louis XV[23] de mai 1760 jusqu’en juillet 1763[24].  Comme son père avant lui il écrit beaucoup. Son poste militaire ne lui prend que quatre mois par an, le reste du temps il le passe chez ses parents installés dans un petit château à Saint-Martin du Manoir, il aime se balader dans la campagne, étudier la guerre, l’hydrographie, la religion, la philosophie ou encore l’histoire. Cependant la vie dans un petit village, le fait souffrir, ce qu’il veut c’est partir en expédition, faire la guerre, dormir sur le sol en garnison[25]… Autour de ses vingt ans, il écrit à l’académie de Rouen sur la poésie, les lettres, les sciences, l’histoire notamment et toujours comme son père, sur la Normandie[26]. Si sa vie commence bien s’en suit une longue série d’échecs. Par deux fois il tente de participer à des expéditions militaires, mais pour des raisons que l’on ignore il n’y parvient pas. Par mariage il se retrouve à vivre en Bretagne puis à Paris. Lors de la Révolution, il se trouve à Paris, le 14 juillet il assiste à la prise de la Bastille. Lors de la fuite du Roi à Varennes il s’offre en otage pour sauver la vie du roi. Il se retrouve enfermé en 1793 au côté de son père à la prison de la Force[27]. À la chute de Robespierre, Charles-Gaspard est transféré au couvent des Anglaises dans le Faubourg Saint Marcel à Paris. Il ne sera libéré qu’en 1796. Il perdit sa femme lors de son long passage en prison, mais se remarie en 1798 avec Marie-Paule Glier, une Havraise née en 1755. Le mariage eu lieu à la capitale, mais une fois celui-ci consommé le couple retourna s’installer à Saint-Martin du Manoir. À la mort de son père en 1799, il hérite de ces biens c’est-à-dire une gentilhommerie à Saint Martin du Manoir. Toustain traverse donc la Révolution, le Directoire ainsi que l’Empire, dont il ne manifestera aucune opposition[28]. En 1806, il retourne à la vie militaire, et est nommé colonel de la 11e légion des grenadiers, chasseurs et fusillés de la garde nationale du département de la Seine Inferieure. Lors de la restauration, il accueille la monarchie avec joie, en effet, celui-ci reste un monarchiste, il a côtoyé de très près en étant jeune Louis XV, puis avait rencontré le roi Louis XVI en 1775. Il rencontre d’ailleurs Louis XVIII le 16 janvier 1815. De plus, dans ces nombreux ouvrages il se plaint régulièrement de l’abandon des campagnes par leurs seigneurs. Pour lui le seigneur doit être un homme prêt à travailler la terre auprès de ces villageois[29]. Il écrit également sur la noblesse et propose en 1816 de rétablir la noblesse, ainsi qu’en établissant un maire dans chaque village et que celui si soit l’ancien seigneur, ou un noble[30]. Charles-Gaspard ne semble pas avoir digéré la perte de ces titres pendant la Révolution. Ainsi pour continuer à participer à la vie politique du village il devient d’abord conseiller municipal, puis répartiteur des contributions (il s’occupe des impôts), il est par la suite commissaire des répartitions, directeur du scrutin pour les élections communales, juré et enfin notable d’arrondissement et puis de département[31] (ce sont des postes de conseiller). C’est sa mort en 1836 que Saint Martin du Manoir met fin à une longue suite de seigneurs.



[1]  Centre havrais de recherche historique-Amis du Havre et de sa région, Recueil de l'Association des amis du vieux Havre, Le Havre, 1988, page 3.

[2] Centre havrais de recherche historique-Amis du Havre et de sa région, Recueil de l'Association des amis du vieux Havre, Le Havre, 1988, page 3.

[3] Centre havrais de recherche historique-Amis du Havre et de sa région, Recueil de l'Association des amis du vieux Havre, Le Havre, 1988, page 2.

[4] François Neveux, La Normandie des ducs aux rois (xe – xiie siècle), Rennes, Ouest-France, 1998, p. 151

[5] Michel Harel, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1979, page 14.

[6] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 11, Paris, 1863-1876, page 955.

[7] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 8, Paris, 1863-1876, page 500.

[8] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 8, Paris, 1863-1876, page 500.

[9] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 8, Paris, 1863-1876, page 500.

[10] (de) Caumont, Arcisse, Statistique monumentale du Calvados, Tome 5, Caen, 1846-1867, page 300-302.

[11] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 16, Paris, 1863-1876, page 970-974.

[12] Société rétif de la Bretonne, Études retiviennes, Paris, 1991-1996, pages 100.

[13] Aubert de La Chesnaye Des Bois, François-Alexandre, Dictionnaire de la noblesse : contenant les généalogies, l'histoire et la chronologie des familles nobles de France, Tome 16, Paris, 1863-1876, page 970-974.

[14] Michaud frères, Biographie universelle, ancienne et moderne; ou, Histoire, par ordre alphabétique: de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, Volume 46, 1826, page 417.

[15] Hozier, Jean-François-Louis, L'impôt du sang, ou La noblesse de France sur les champs de bataille, Tome 3, Partie 2, au cabinet Historique, Paris, 1874-1881, page 362.

[16] Almanach royal: 1789, Testu, 1789, page 213.

[17] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 125.

[18] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 124.

[19] Michaud frères, Biographie universelle, ancienne et moderne; ou, Histoire, par ordre alphabétique: de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes, Volume 46, 1826, page 417.

[20] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 124.

[21] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 101.

[22] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 102.

[23] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 126.

[24] Société rétif de la Bretonne, Études retiviennes, Paris, 1991-1996, pages 101.

[25] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 102-103.

[26] Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1890, page 172.

[27] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 121.

[28] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, pages 127.

[29] Société havraise d'études diverses, Recueil des publications de la Société havraise d'études diverses, Le Havre, 1914, page 135.

[30] Académie des sciences, belles-lettres et arts, Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1890, page 202.

[31] Académie des sciences, belles-lettres et arts, Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, Rouen, 1890, page 185.

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