La pluriactivité d’une société littorale : Etretat et Fécamp, XVIIIe – XXe (1/3)
Figure 1 : le chemin antique de Fécamp à Etretat - SOULIGNAC Robert, Fécamp et sa campagne à l’époque des Ducs de Normandie, Fécamp, EMTN, 1987, p. 174.
Etretat,
ville côtière par excellence est aujourd’hui reconnu dans le monde entier pour
son cadre atypique et ses très nombreuses représentations qu’elles soient
picturales avec notamment les peintures de Claude Monet, Gustave Courbet et
bien d’autres, musicales avec la chanson de Charles Aznavour, Les Galets
d’Etretat, littéraires avec les aventures d’Arsène Lupin ou encore et
surtout grâce à ses falaises de calcaire. Nombreux, sont aujourd’hui les touristes
du monde entier venus pour les admirer. La ville, ou plus précisément le bourg
existe depuis l’Antiquité, de nombreux restes gallo-romains comme des briques,
des poteries, des monnaies ont été retrouvé au fil des ans notamment sur la
plage. De plus, on y trouve également les vestiges d’un aqueduc et d’une chaussée en direction de Lillebonne.
Si l’on sort de la valleuse d’Etretat et que l’on poursuit le chemin antique qui suit aujourd’hui la D940, nous arrivons dans celle de Fécamp. La présence humaine est attestée depuis l’époque gallo-romaine. Aujourd’hui encore la fameuse « sente aux matelots », permettant de monter au sommet du cap Fagnet, en est une trace bien visible avec son dallage . Connu pour la pêche au hareng et à la morue, c’est un panorama diversifié qui se déploie : de l’abbaye à la plage, des commerces aux saurisseries, c’est une ville aux activités plurielles dès sa fondation. Artistiquement, Fécamp n’est pas en reste, nombreux sont les tableaux impressionnistes qui dépeignent les paysages des hautes falaises ou du port.
La mer a toujours été un espace nourricier pour les hommes avec d’une part la pêche qu’elle soit à pied, côtière ou au long cours. Mais aussi avec l’exploitation de l’estran, c’est-à-dire l’espace qui se couvre et se découvre sur le littoral. C’est la partie du rivage recouvert à marée haute et découverte à marée basse. Celle-ci est d’ailleurs très souvent considérée comme l’extension du village. On assiste donc à une domestication de la mer, ce qui a été le cas à Etretat comme nous allons le voir.
La mer, un espace nourricier
Dans un premier temps, intéressons nous aux côtes Etretataises et Fécampoises. Ces dernières permettent la subsistance des locaux et quels
moyens ces derniers utilisent. L'intérêt est de montrer les différentes pêches mise en
place mais aussi les compléments à celles-ci comme la chasse, l’agriculture ou
encore la récolte d’algues ou d’huîtres. La mer, le littoral, et l’estran sont
de véritable garde-manger : coquillages, crustacés, palourdes, moules, huîtres,
oiseaux marins, petits poissons, appâts pour la pêche au large, morue, hareng et
autres poissons.
Depuis
l’Antiquité, Etretat est un petit village de pêcheurs. En effet de nombreux
hameçons et des arêtes de poisson ont été retrouvées au cœur des ruines
romaines. De plus on y retrouve aussi des instruments de labourage. Ceci montre bien une
pluriactivité du paysan-pêcheur. Le pêcheur Etretatais trouve un très grand
nombre de ressources grâce à la mer. Les poissons sont au XVIe
siècle très nombreux sur la côte. On y trouve une grande variété comme des
merlans, soles, carlets, limande, mulet, bar, grelin, anguilles, beaucoup de
hareng et de maquereaux. Nous avons ici un mode de vie se faisant au gré des
saisons, par exemple, la pêche aux harengs se fait d’octobre à décembre sur les
côtes dieppoises tandis que la pêche aux maquereaux est réalisée du mois de
juillet au mois d’août sur la côte[2]. Une fois la pêche
réalisée, la récolte est soit vendu aux passants directement en descendant de
la barque ou bien exportée dans des grandes villes comme Rouen ou Paris[3]. Lorsque le pêcheur ne
pêche pas il répare sa barque, prépare ses filets… À Fécamp c'est
principalement l'industrie du hareng qui fait le bonheur de la ville et ce
depuis les invasions normandes[4]. Au XVIIe siècle le hareng
est déjà exporté dans toute la France comme Paris, Rouen, Auxerre ou encore
Lyon[5]. Ainsi comme nous pouvons
le constater que ce soit Etretat ou Fécamp les exportations de poissons sont
présentes et permettent un certain rayonnement des ports de la Manche.
Au pied des falaises, on trouve de nombreux rochers permettant de piéger les crabes, palourdes, moules, homard, tourteau et petits poissons servant d’appât. Ce sont souvent les femmes qui pêchent ces derniers, ce sont elles qui tissent les filets. De plus, elles sont chargées de remonter les petites barques au niveau des habitations, car à Etretat il n’y a pas réellement de port[6]. Les barques sont emmenées le plus haut sur la berge et redescendues lorsque c’est nécessaire. Le plus haut possible car à Etretat la marée est parfois violente, sans oublier les tempêtes. Le matériel de pêche comme les cordages, les câbles ou les filets sont rangés dans une Caloge, lieu typique et emblématique d’Etretat, ce sont des barques-maisons au toit de chaume installé sur la côte.
Figure 2 : Jeunes normandes aux pieds des
falaises d'Etretat - A02929 Archives départementale de la Dordogne.
Toute
la famille est mise à contribution lors des moments de pêche. Les hommes
partent en mer tandis que les femmes raccommodent les filets, prépare le
bateau, nettoient les vêtements de leurs maris. Étant donné que la pratique de
la pêche est soumise à de nombreuses interruptions, liés aux conditions
climatiques ou l’absence de poisson, l’homme est souvent à terre, ainsi il
devient un pêcheur au foyer et fait les mêmes taches que sa femme[7]. Le pêcheur est très
souvent assez indépendant dans le sens où il possède soit sa barque soit des
ustensiles de pêche ainsi c’est à lui de partir pêcher quand il le souhaite
afin de subvenir à ces besoins.
La
pêche à Etretat et son intensité décroit au XIX siècle au profit, comme nous le
verrons dans la seconde partie, du tourisme. En effet, de 1820 à 1850, le
nombre de barques ne sont plus qu’autour de 25 à 30 et continuent de diminuer
par la suite[8],
idem pour le nombre de marins, s’ils sont 300 en 1800, ils ne sont plus que 150
en 1850[9]. Deux éléments expliquent
cette diminution :
-
La ville prend un
tournant radical au profit du tourisme et des loisirs.
- On constate au début
du XIXe siècle une très nette diminution des bancs de poissons au
large des côtes notamment des harengs[10].
Ainsi à l’orée
du XIXe siècle, le village de pêcheurs qui existait depuis
l’Antiquité se tourne vers une nouvelle économie, ce que nous étudierons dans
la seconde partie.
Figure 3 : Etretat en 1820 - Thomas Jean-Pierre. Etretat 1900-1940. In : Études Normandes, 55e année, n°1, 2006.
Au
XVIIIe, il en va de même pour Fécamp qui voit son activité diminuer suite aux
guerres de la Révolution, les pêcheurs et leurs bateaux sont réquisitionnés[11]. Cela constitue une
simple pause dans la pêche car dès le traité de Vienne, la paix est de retour,
et les pêcheurs peuvent à nouveau s’aventurer loin des côtes. Les estimations font état de 1523 pêcheurs à Fécamp[12].
En
parallèle de cette activité de pêche, les Etretatais participent à un certain
nombre d’activités supplémentaire pour se nourrir. La chasse aux guillemots en
est un parfait exemple. C’est une espèce de mouette noire et blanche chassée
pour sa viande et surtout pour ces œufs qui ont une taille assez conséquente en
forme de poire. Ces oiseaux nichent dans les cavités des falaises avec seul
leur tête dépassant. Au mois de mai et de juin, la chasse commence, on vient de
toute la région pour y participer. Havrais, Fécampois, Rouannais et Etretatais
s’embarquent sur de frêles esquifs à quatre au soleil levant et tirent pour
tuer ces oiseaux et si possible récupérer leurs œufs[13].
L’exploitation de l’estran
D’autres moyens de subsistance
en plus de la pêche sont mis en activité notamment la récolte d’huîtres à Etretat.
Au pied des falaises, le parc à huître est constitué d’une dizaine de réservoirs
créés en 1778 et taillés à même le sol. De
facto elles sont cultivées au bord de la mer, subissant ainsi la marée et
les eaux douces descendant des falaises ce qui leur donne une grande fraîcheur
et un goût qui font la renommée de celles-ci selon l’abbé Dicquemare qui est
l’auteur de
Portefeuille inédit de M. l’abbé Dicquemare sur les mollusques et autres
parties de l’histoire naturelle, terminé et rédigé par Mlle Lemasson-Legolft,
son élève. Les huîtres sont exportées jusqu’à
la capitale par deux navires à savoir la Syrène
et la Cauchoise[14].
Cependant de 1789 à 1824, peu d’huîtres sont cultivées à Etretat suite à
l’hiver 1789. Il faut réellement attendre 1847 pour que de nouveaux
investisseurs remettent le parc en état sans pour autant attendre la qualité
d’avant la Révolution[15].
Les algues sont également une
ressource majeure pour les deux villes que nous étudions, on appelle cela le fumier de la mer. Cette ressource est
vitale, pour améliorer les champs alentours d'une part, en tant que bois de
chauffage d'autre part, puis plus tard pour fabriquer de la soude. Elles sont très abondantes
dans les deux villages. On retrouve donc des algues de types Rupestrie ou Firmus[16].
Ces algues de la famille des
goémons, la récolte de ce dernier est central au XVIIe et XVIIIe siècles. Les
parcs à huîtres permettent également de récupérer du varech, algues brunes
utilisées pour faire de l’engrais dans les champs.
Dangers de la mer et religion
Vivre
au bord de la mer est dangereux notamment à Etretat. Les tempêtes peuvent coûter la vie à des villageois comme en 1842 où quatre hommes furent noyés
suite à une inondation[17]. Les tempêtes, les
inondations et autres catastrophes naturelles font partie de la vie des gens de
mer. C’est pour cela que la religion est toujours très présente chez les marins
et les pécheurs, ne l’oublions pas. La mer est pendant longtemps un espace
dangereux, dont beaucoup ne reviennent pas. La dévotion à la Vierge et aux
Saints est donc importante. Nombreux sont ceux vénérés, notamment Saint Pierre.
Le jour de l’Ascension on bénit la mer, idem pendant Noël. À partir du moment où
un marin met le pied sur une embarcation il est normal de voir par la suite des
dévotions dans le but d’être protégé. Depuis longtemps à Fécamp tout comme à
Etretat la Saint Pierre est célébrée. À Fécamp par exemple l’Eglise Saint
Etienne est destinée à devenir l’Eglise pour les marins, cependant au XVIe
siècle elle est trop petite et sous la pression des armateurs et des marins du
village, elle est agrandie à la fin du XIXe.
Pour
finir ce premier article introductif,
nous avons bien compris que tout au long du XVIe et XVIIe siècle, toute la société
villageoise Etretataise et fécampoise est tournée vers la mer, elle y
travaille, récupère des ressources et y vit. Cependant, comme nous allons le
voir par la suite, nos deux villages proches géographiquement, ne
vont pas subir les mêmes bouleversements même si au départ leur destin semblait
être le même, Etretat va se tourner vers le tourisme tandis que Fécamp continue
son activité de pêche.
Dans les prochains articles nous nous intéresserons spécifiquement à Etretat puis à Fécamp, toujours dans l'objectif de montrer comment deux sociétés littorales ont des activités plurielles.
Article co-écrit par C. Crochemore et B. Hulot
[1] PARMENTIER E, Étretat : son origine, ses légendes, ses villas et leurs habitants, Paris, 1890, p. 37.
[2] Société d'économie sociale, Les Ouvriers des deux mondes : études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes, Paris, 1888, p. 154.
[3] COCHET Jean Benoit Désiré, Étretat, son passé, son présent, son avenir : archéologie, histoire, légendes, monuments, rochers, bains de mer, Dieppe, 1857, p. 84.
[4] BELLET Adolphe, Histoire maritime de Fécamp, Fécamp, 1896, p. 62.
[5] Ibidem, p.64.
[6] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 82.
[7] Société d'économie sociale, Les Ouvriers des deux mondes : études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes, Paris, 1888, p. 160.
[8] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 81-82.
[9] Ibidem, p. 82.
[10] Ibidem, p. 85.
[11] BELLET Adolphe, op. cit., p. 68.
[12] Ibidem, p. 69.
[13] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 110-112.
[14] Ibidem, p. 104.
[15] Ibidem, p. 105.
[16] DEBRAY Ferdinand, Catalogue des algues marines du nord de la France, Amiens 1885, p. 10-16.
[17] MICHEL Joachim, Causeries sur Fécamp, Yport, Étretat, Colleville, Valmont, Saint-Valéry-en-Caux, Cany et autres lieux..., Fécamp, 1857, p. 11.
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