La pluriactivité d’une société littorale : Étretat et Fécamp, XVIIIe – XXe (2/3)

 

La pluriactivité d’une société littorale : Étretat et Fécamp, XVIIIe – XXe (2/3)

L’exemple d’Étretat


    Nous l’avons constaté dans le premier article, Étretat et Fécamp sont à l’origine deux ports de pêche. Cependant l’un va prendre un tournant radical. En effet, Étretat va, dans le courant du XIXe siècle, amorcer une mutation vers le tourisme. Si cette fois la mutation va réussir, ce n’est cependant pas la première tentative. En effet, plusieurs siècles auparavant Étretat se voit comme un port de guerre face à l’Angleterre. Grâce notamment à sa profondeur des eaux, de ces falaises… nombreux sont les dirigeants à vouloir doter le village d’un port de guerre. Le premier est François Ier, au début du XVIe siècle, l’Amiral de Bonnivet est chargé de trouver un lieu propice pour l’installation d’un nouveau port de guerre, trois endroits sont établis :

- Étretat ;
- Embouchure de la Touque ;
- Marais du futur Havre de Grâce.

   C’est finalement le Havre qui l’emporte[1]. Le projet est abandonné jusqu’au règne de Louis XVI qui souhaitait construire un port royal sur la Manche. C’est Lamblardie (ingénieur des ports de Dieppe et du Havre) qui fut envoyé à Étretat pour faire des plans. Le projet est encore une fois abandonné au profit de Cherbourg. Enfin, Napoléon souhaitait construire une série de onze forteresses autour de la ville afin d’en faire une cité imprenable. Cependant le projet est abandonné avec son abdication [2]. Nous verrons dans cet article la transformation d’un petit port de pêche sans prétention à une station balnéaire reconnue.

Les Bains de mer


    Il faut savoir que les bains de mer se développent sur les côtes de la Manche au début du XIXe siècle. Jusqu’au XVIIe siècle, ces derniers sont quasiment exclusivement réservés aux malades et aux fous. La mer est pendant longtemps un lieu de tous les dangers, au début du XIXe siècle , la mer c’est l’Angleterre donc un lieu qui fait peur. Avec la paix de 1815, cette idée disparaît même si cela prend du temps et les Français commencent à apprécier les bains de mer[3]. Cependant, il est encore difficile de se rendre à Étretat à cette date. Il faut attendre 1845 pour que la route en partance de Fécamp rejoigne la ville et 1852 pour la route du Havre[4]. S’ajoutent à cela deux voitures qui en 1857 font la navette chaque jour, entre Étretat et Le Havre et entre Étretat et Fécamp[5]. Ainsi autour de cette période, on assiste à une première vague de « touristes », ceux qui viennent chercher à Étretat le réconfort de la mer. Nombreux sont les médecins à prescrire des bains d’eau salée à Étretat pour guérir les maux tels que la gastrite, les diarrhées, l’engorgement scrofuleux des glandes, l’ophtalmie chronique, les fièvres[6]… et plein d’autres. Mais pourquoi Étretat ? Et pas une autre ville. Pour beaucoup, le petit village de pêcheurs est déjà connu pour les huîtres et est reconnu dans la région pour ses maisons bourgeoises… De plus, on trouve à Étretat des maitres-baigneurs et des médecins[7]. Le bain de mer permet de soigner un grand nombre de maux, raffermi les tissus et augmente « l’énergie de tous les organes[8] », voici en tout cas comment était perçu le petit village encore marqué par la pêche.
   
    La ville se développe au cours du XIXe siècle autour du tourisme, ainsi on constate très largement une augmentation du nombre de maisons en construction. De 1849 à 1857, entre 12 et 15 maisons sont construites par an, alors que de 1830 à 1849 aucune ne l’a été[9]. Les bords de mer se dotent de maisons au style bourgeois et fleuri. Les auberges disparaissent au profit des hôtels[10]. Avant 1870, la Seine-Inférieure est considérée comme le premier département touristique de France[11]. Ce qui veut dire que les villes ou les villages du littoral cauchois sont déjà connus et reconnus.


    Dans les années 1900, l’éditeur Hachette publie une série de guides nommée Bains de mer. C’est un répertoire permettant de connaître les meilleures plages pour se détendre et se baigner.

        Etretat en 1920 - Thomas Jean-Pierre. Etretat 1900-1940. In: Études Normandes, 55e année, n°1, 2006.

   
    Au début du XXe siècle, Étretat est comme métamorphoser. Les bateaux de pêche sur le rivage ont laissé place aux serviettes et tentes des baigneurs. Il est tout de même intéressant de voir que dans les années 1860, une cohabitation entre baigneurs et pêcheurs est encore présente. Une zone située près du Casino pour les baigneurs et une autre plus loin uniquement pour les pêcheurs. Comme nous le voyons sur la photo ci-dessus, les bains de mer sont mixtes ce qui n’est pas le cas partout.


    Enfin pour finir, cette mutation n’aurait pas pu se faire sans une révolution des transports, trains, voitures… Nous verrons tout ceci dans les deux prochaines sous-parties. Le bain de mer est donc une nouveauté du XIXe siècle, un nouveau type de loisir à la fois pour la société bourgeoise et industrielle.

1852 : La construction du Casino

    
    1852 est véritablement le tournant dans l’histoire d’Étretat, à partir de là, et ce jusqu’à aujourd’hui, la ville est réellement entré dans le monde du tourisme. Avant toute chose il convient de définir ce Casino, car c’est bien loin de notre définition contemporaine. C’est un lieu de sociabilité, on y vient lire son journal et discuter. En 1851, au bord de la plage, le maire du Bosc-le-Hard et conseillé général de Bellencombre, M. Lenormand s’affaire, il veut construire un bâtiment de loisir sur les terrains tenus par l’armée avec vue sur mer. Ainsi le 26 juin 1851, l’armée et le gouvernement lui concèdent les terrains nécessaires. C’est le Fécampois Sautreuil qui fut en charge des travaux. Très vite, le bâtiment est établi sur l’emplacement de la batterie de la Tour[12]. Sous le nom des Bains de mer d’Étretat, le bâtiment est composé de deux salons un pour la lecture, un pour la discussion.

    C’est trois hommes, choisis par les 200 actionnaires, qui dirigent le Casino :
- Le directeur, le comte Charles de Pardieu ;
- Le sous-directeur, le docteur Miramont ;
- Le secrétaire, l’armateur fécampois Frébourg.

    Le Casino prospère au fil des mois et des années et attire de plus en plus de monde. En 1852 ce sont 1 500 personnes dont le général Cavaignac (gouverneur d’Algérie et président du Conseil des ministres en 1848) et la comtesse de Montalembert, puis en 1853 c'est la reine d’Espagne Marie Christine et ces filles qui visitent les Bains de mer d’Étretat[13]. Le Casino attire du beau monde et fait la renommée de la ville, que ce soit en France ou dans le monde. En 1856, on estime à près de 16 000 visiteurs[14].

    C’est dans les années 1830 que le tourisme cauchois se voit lancé, d’abord à Dieppe puis Veules les Roses, Le Tréport et bien évidemment Étretat. Même si pour ce dernier cela arrive un peu plus tard que les autres à cause notamment de l’absence de ligne chemin de fer. Il faut attendre 1894 pour que celle-ci soit réalisée tandis que la liaison Paris-Dieppe est établie en 1872 et Paris-Le Tréport en 1873[15]. Étretat se trouve à 4h30 de la capitale en train, autant dire que c’est assez rapide pour les Parisiens. Cette nouvelle mobilité incarne parfaitement ces nouveaux loisirs qui vont d’ailleurs continuer de se développer comme nous allons le constater.

Station balnéaire connue et reconnue

    Nombreux sont les artistes peintres, écrivains, chanteurs à promouvoir le village par leurs arts. En effet, Alphonse Kar, Guy de Maupassant, Maurice Leblanc, Isabey, Bonington, Mozin et plein d’autres font d’Étretat un « nid de verdure entre deux falaises escarpées et découpées en décor d’opéra-comique plein de villas fleuries et boisées » comme l’explique Hermine Lecomte de Nouy dans une lettre[16]. C’est en grande partie grâce à eux puis avec la révolution des transports qu’Étretat devient une station balnéaire reconnue.


Affiche artistique des chemins de fer de l'Ouest.

    
    La ville d’Étretat ne se contente pas que des bains de mer et de son Casino pour attirer les touristes. En effet de grands travaux d’aménagement sont mis en place : d’abord des Hôtels, puis également des lieux de loisirs comme les terrains de tennis ou encore un terrain de golf. Pour le premier, on le pratique d’abord sur la plage puis dans des terrains conçus à cet effet. En 1925, une semaine du tennis est organisée, et présidée par Suzanne Lenglen, recueillant plus de 700 participants[17] (hommes et femmes). Ensuite le golf, 18 trous, situés sur la falaise et inaugurés en 1907, est le premier golf marin en France.

    Le tourisme balnéaire attire tout type de gens et pas seulement de la bourgeoisie. En effet un guide, écrit dans le Petit Journal en 1897, recense les plages les moins chères[18]. De plus, grâce à ces aménagements sportifs et de loisirs, Étretat se voit doté autour des années 1920 d’une nouvelle population touristique : les étrangers notamment anglais et américains. Dans le prochain et dernier article sur la pluriactivité d’une société littorale, nous nous intéresserons au cas de Fécamp.

[1] COCHET Jean Benoit Désiré, Étretat, son passé, son présent, son avenir : archéologie, histoire, légendes, monuments, rochers, bains de mer, Dieppe, 1857, p. 91.

[2] Ibidem, p. 94-95.

[3] THOMAS Jean-Pierre, « Étretat 1900-1940 », Études Normandes, 55e année, n°1, 2006.

[4] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 118.

[5] Ibidem, p. 119.

[6] MIRAMON P, Notice sur les bains de mer d'Étretat, près du Havre, Paris, 1851, p. 15.

[7] Ibidem, p. 12.

[8] Ibidem, p. 18.

[9] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 119.

[10] THOMAS Jean-Pierre, op. cit.

[11] BUSSI Michel, « La Côte d'Albâtre : heurs et malheurs touristiques depuis deux siècles », Études Normandes, 56e année, n°3, 2007, La Côte d'Albâtre, usages et images. pp. 37-50.

[12] Ibidem.

[13] COCHET Jean Benoit Désiré, op. cit., p. 121.

[14] Ibidem, p. 122.

[15] BUSSI Michel, op. cit., pp. 37-50.

[16] THOMAS Jean Pierre, Étretat autour des années 1900, Luneray, Bertout, 2000, 181 p.

[17] THOMAS Jean-Pierre, op. cit.

[18] VIGARELLO Georges, « La mer et le renouvellement de valeurs à la bascule du XXe siècle », Revue de la BNF, 2009/2, n° 32, p. 4-9.

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